Le 18/10/2025, deux premiers cadavres de grues cendrées étaient observés sur la RNN de l’étang de la Horre. En parallèle de ces observations, des mauvaises nouvelles arrivaient d’Allemagne, et du lac du Der.
La grippe aviaire (H5N1) s’est lourdement abattue sur la population de grues cendrées empruntant le couloir migratoire le plus occidental, donc celles qui passent par l’Allemagne, la Champagne, le Val-de-Loire, les Landes/Pyrénées Atlantiques pour aller hiverner en péninsule ibérique (ou moins loin : de plus en plus de grues hivernent plus au nord, en France notamment). Les grues hivernant en Camargue ne passent pas par le même couloir migratoire, et sont, jusque-là, épargnées.
En revanche, l’étang de la Horre, site pouvant accueillir plus de 10 000 grues cendrées au dortoir au pic de migration, n’a pas été épargné. De deux cadavres à La Horre, on est rapidement passé à 5, puis 20, 45, 120, 500 etc jusqu’à atteindre des chiffres catastrophiques : plus de 1000.
A travers la longue-vue, sur le bassin nord, au moins 35 cadavres sont visibles sur ce petit secteur... (c) Johann Chrétien
Au début de l’épidémie, il était possible de compter la totalité des cadavres, tous les jours, et de soustraire ceux comptés la veille. On parvenait alors à obtenir le nombre de grues qui mourraient chaque nuit. La Horre est le seul site de Champagne-Ardenne sur lequel il y avait une mortalité très importante et la possibilité d’effectuer ces comptages. En effet, certains sites, comme les étangs de Belval, pouvaient être « comptés », mais les chiffres totaux n’ont pas été très élevés en comparaison avec la Horre, ou le Der ou les lacs de l’Aube. Sur ces deux derniers, le Der en particulier, les chiffres étaient très élevés, mais la taille des sites rendait un comptage exhaustif des cadavres totalement impossible. Les comptages de la Horre permettaient donc d’obtenir des « tendances » de l’évolution de l’épidémie, pour la Champagne-Ardenne. Même si ce comptage quotidien des cadavres a été particulièrement morose et lourd à effectuer, il a aussi été très utile.
Malheureusement, passé les 10 premiers jours, les cadavres les plus anciens disparaissaient (enfoncés dans la vase, coulés au fond de l’eau, ou enlevés par les charognards), et il est donc devenu impossible de continuer à compter. Il a donc fallu estimer… Heureusement, c’est aussi à ce moment que l’épidémie à commencer à se « calmer » : on a observé de moins en moins de cadavres récents et de grues présentant des symptômes de la maladie.
Combien au final ? Sur le site de l’étang de la Horre, le nombre total de grues mortes de la grippe aviaire est estimé à entre 2500 et 3000. En France : probablement entre 12 000 et 15 000. En tout : probablement plus de 50 000 (c’est en Allemagne qu’il y a eu le plus de mortalité). Sur un total d’environ 400 000 grues cendrées, qui empruntent ce couloir de migration, la proportion est considérable ! Mais pas de raison de s’inquiéter outre mesure, l’espèce se porte plutôt bien (en dehors de cet évènement), et cette épidémie ne remet pas en question son avenir.
Grue morte sur la digue centrale, une parmi des centaines. (c) Johann ChrétienGrue malade dans les boisements de la RNN, pas de fuite à mon approche, manque évident d'énergie, individu "moribond". (c) Johann ChrétienUne grue semblant malade se nourrit d'un cadavre de grue. Premier cas documenté de cannibalisme chez la grue cendrée ? (c) Johann Chrétien
Et les autres espèces ? Sur le site de la Horre, seul un cormoran a été retrouvé mort. De par son inaccessibilité, il n’a pas pu être envoyé en laboratoire pour analyses, mais c’est probablement la grippe aviaire qui l’a atteint. D’autres oiseaux présentant des symptômes (absence de fuite à l’approche d’un humain, manqué évident d’énergie) ont pu être observés à la Horre : plusieurs grands cormorans et au moins deux buses variables. En France, les victimes « collatérales » sont : le cygne tuberculé, l’oie cendrée, le grand cormoran, la mouette rieuse, le courlis cendré, le faucon pèlerin, le pipit spioncelle (j’en oublie sûrement plusieurs), mais toujours avec des effectifs assez faibles, presque au compte-gouttes. 2 renards roux et une loutre d’Europe ont également été testés positifs à la grippe aviaire.
Tous ces évènements ont eu pour conséquence une grande confusion dans la vie de la réserve : pêches de novembre annulées, incertitude quant à celles de décembre, battues de régulation des sangliers annulées pour le mois de novembre, accès interdit au sentier des pêcheurs etc… Et surtout : grande incertitude sur le devenir des cadavres qui s’accumulent sur les vasières de l’étang. Faut-il les retirer ? Ou est-ce contre-productif ? Leur accumulation cause-t-elle d’autres problèmes sanitaires (décomposition de plusieurs tonnes de matière organique dans l’eau, favorisation d’apparition du botulisme, etc.) ou le risque d’un effet « source » : la propagation vers d’autres espèces par exemple ? Si on décide de les retirer, alors qui et comment ? La charge de travail est titanesque : du fait du nombre de cadavres, de la taille du site, et de son inaccessibilité aux engins motorisés (vasières du bassin nord notamment), il est impensable pour les gestionnaires de gérer l’export seuls.
Finalement, l’état a choisi de ne pas envoyer de main d’œuvre supplémentaire, et les cadavres sont donc laissés sur place. Cette décision a été motivée par la complexité logistique de l’opération, par le manque de moyen humain, et surtout par le fait que l’épidémie était en train de s’estomper lors de ces réflexions.
Ce qu’on en retient : l’épidémie nous a donné une véritable « leçon » de gestion de crise. En effet nous nous sommes aperçus que ni nous, gestionnaires de la réserve, ni les services de l’état, responsables de la santé publique, n’étions prêts à gérer une telle mortalité sur des oiseaux de grande taille. En effet, un nombre de jours bien trop important a été perdu en début d’épidémie, faute d’anticipation. Nous en retenons donc qu’il est nécessaire de nous préparer (en interne comme en externe) pour faire face plus efficacement à ce type de crise, si cela venait à se reproduire.
D’où vient cette épidémie ? Comment le virus a-t-il trouvé son chemin jusqu’à la grue cendrée ? Que va-t-il devenir ? Des questions sans réponse pour le moment… Des études sur le sujet viendront probablement nous donner des pistes dans les prochains mois.
En attendant, souhaitons bon rétablissement aux grues cendrées.
Grues cendrées au dortoir. (c) Johann Chrétien"Lever de grues". (c) Johann Chrétien
Messieurs Bruno et Laurent Fauvel, bénévoles très investis dans la gestion et les suivis scientifiques de la réserve de l’Etang de la Horre, y ont mené entre 2023 et 2025 un inventaire des "gros arbres". Un grand merci à eux deux !
Ils ont rédigé un texte présentant des résultats préliminaires que je synthétise ici : sur 39 ha, ils ont dénombré 1656 "gros arbres », soit 42 par hectare, ce qui est très élevé !
Quelles sont les surfaces inventoriées ? : les Boisements de la RNN, en excluant le « Bois du Jac », la parcelle qui sépare l’Etang de La Horre de l'Etang Neuf.
Longtemps resté dans l’ombre du Lac du Der, proche, qui attire les masses touristiques, l’étang de La Horre n’était jusqu’à récemment que très peu fréquenté. Mais il semble que le bouche-à-oreille commence à faire son effet car la fréquentation du site est en augmentation.